Re:
Publié : 07 juil. 2012 19:38
SUITE 2 « La mise à mort du Travail »
LA DEUXIÈME PARTIE DU DOCUMENTAIRE se déroule à Elancourt, le siège de Fenwick-France et à l’usine de production des chariots à Cenon sur Vienne
Deux directeurs sont interrogés.
Le premier dit entre autres choses ceci : « L’objectif c’est la performance globale. Au centre de notre stratégie on a mis la motivation de nos salariés. Notre crédo est que la plus belle des stratégies ne sera pas appliquée si elle n’est pas comprise et partagée par l’ensemble du personnel… »
Le deuxième directeur, sans aucun doute plus sincère dit : « On n’a pas de limite. Un bon management c’est de ne jamais être satisfait. Structurellement un manager c’est quelqu’un de jamais content. Y a une exigence qui nous oblige à avoir des raisonnements et des stratégies sans complaisance. Très clairement vis-à-vis des actionnaires il faut pouvoir montrer au mois le mois des performances de production qui se traduisent très clairement par des performances financières… »
Ce que dit ce 2ème directeur donne le ton de se qui se passe à l’usine Fenwick.
À l’usine de Cenon sur Vienne l’optimisation est au cœur de l’entreprise. Comme pour les bons commerciaux qu’on a conduit à «l’excellence », la direction de Fenwick à fait appel à un cabinet de consultants spécialistes de l’optimisation. Tout le management a été formé à développer, animer et amener les ouvriers à la nouvelle organisation. Les consultants ont relevé par exemple que 85 % des temps de déplacement des opérateurs au sein de leur atelier (se déplacer pour chercher un outil, une pièce…) était du temps gaspillé. Ils ont pointé les temps où l’opérateur attend une pièce, il s’agit d’un temps qui est payé à l’ouvrier et donc un temps perdu qui ne rapporte rien financièrement vu que durant ce déplacement et attente il n’est pas en train de monter du chariot... La mission des consultants a été de réorganiser le travail au sein de l’usine pour réduire tous les « gaspillages » qui sont quantifiés et chiffrés en « pertes financières »…
Leur démarche d’optimisation consiste à appliquer les méthodes du « Lean manufacturig »* appelé aussi « système Toyota », un mode d’organisation du travail qui a fait de Toyota, petit constructeur marginal des années 60, le plus gros groupe industriel d’automobile au monde. L’aboutissement d’un siècle de pensées sur l’optimisation de la production industrielle. Le bal avait été ouvert à la fin du 19è avec Taylor, qui avait séparé d’un côté les ingénieurs qui pensent et de l’autre les ouvriers qui exécutent. Puis il y a eu Henri Ford qui inventa le travail à la chaîne, c’était les débuts de la production de masse. Cela a duré jusque dans les années 70. Les limites de cette production de masse se sont manifestées et une nouvelle méthode est arrivée, « le toyotisme », qui a voulu redonner sa place à l’ouvrier. L’idée était que tous les salariés devaient participer à la performance de l’entreprise. Pas uniquement avec leur force de travail, mais aussi avec leur intelligence. Les améliorations doivent être proposées par les ouvriers eux-mêmes. On les fait donc travailler à la résolution des problèmes au sein de cercles de qualités.
A l’usine Fenwick, l’adhésion des ouvriers aux objectifs de l’entreprise est le nouveau crédo. Chaque salarié doit proposer quotidiennement des idées, des astuces, des solutions, afin d’améliorer la productivité et la sécurité sur son poste de travail. Il doit noter ses propositions sur un grand tableau affiché dans son atelier. Ensuite chacune des propositions de chacun des ouvriers de l’atelier est discutée, testée et validée par l’ensemble si elle s’avère être celle qui fait gagner le plus de temps. Pour inciter les ouvriers à collaborer, la direction évoque sans relâche l’opportunité qui s’offre à eux de travailler dans de meilleures conditions. Cette démarche vise surtout à faire en sorte que les salariés soient les acteurs de l’amélioration de leur productivité.
Et à l’écran je vois effectivement des grands panneaux qui flottent au dessus des machines, et dessus il est écrit : « VERS 100 % D’IMPLICATION ». Et le film montre des gens avec un mètre ou un chronomètre à la main, qui prennent des mesures, qui discutent, qui écrivent sur des tableaux accrochés au mur…
Les ouvriers Fenwick participent à la chasse au gaspi. Ils décortiquent leurs temps non productif, leur temps morts, leurs mouvements inutiles, leurs déplacements dans l’usine. Tout est quantifié. Ainsi ils ont appris qu’ils faisaient jusqu’à 46 km de déplacement en une semaine, avant l’optimisation. Encadré par les consultants et les techniciens toutes les séquences de travail sont réorganisées afin de produire le plus de chariots possible dans les délais les plus courts.
Laurent HEBENSTREIT, éditeur et ancien cadre dirigeant dans l’industrie dit ceci à propos du toyotisme : « La règle d’or du système c’est que toute amélioration doit aller impérativement dans le sens de l’amélioration de la qualité et de la productivité. C’est le seul critère d’acceptation de la proposition de l’ouvrier… Par exemple, si c’est moins douloureux pour l’ouvrier d’avoir une pièce sur une table à côté de lui, au lieu d’avoir à se baisser pour la ramasser, il aura moins mal au dos, c’est donc une amélioration des conditions de travail. Mais dans la réalité le but final c’est la productivité, et donc si c’est l’inverse qui est mieux, s’il vaut mieux qu’il se baisse pour qu’il soit plus productif, on l’obligera à se baisser ».
Les opérateurs Fenwick sont ainsi formés, au sein des cercles qualités, à comprendre les critères selon lesquels ils doivent faire de « bonnes propositions », ce qui dans la réalité ne va pas dans le sens d’un plus grand confort au travail, tout au contraire, le bilan de la méthodologie est loin du résultat escompté par les travailleurs qui était « l’amélioration des conditions de travail ».
Un syndicaliste fenwick dit : « La nouvelle réorganisation a fait la chasse à tous nos petits temps de récupération, désormais on ne marche plus mais on piétine, on n’a plus aucun temps pour souffler, pour échanger trois mots avec un collègue, on est devenu un rouage de la chaîne… »
Depuis l’introduction du toyotisme dans l’usine Fenwick, et selon les partenaires sociaux (CHSCT, DP, délégués syndicaux…) les accidents de travail ont augmentés de 25 % dans l’usine.
Frédéric LORDON, économiste de renom et Directeur de recherche au CNRS, ajoute, à propos de cette supposée amélioration des conditions de travail apportée par le toyotisme, que « c’est effectivement la théorie du foutage de gueule qui est la bonne ».
Le sociologue Vincent DE GAULEJAC (Université de Paris VII) dit ceci : « C’est une satisfaction narcissique formidable de proposer aux salariés d’être dans un idéal de perfection, d’aller au-delà de leurs limites, etc. Donc la tentation d’y croire est forte ». Et effectivement partout ou le toyotisme s’implante, partout les salariés jouent le jeu.
Frédéric LORDON qui a étudié les effets du toyotisme fait un commentaire édifiant. Il compare par exemple les conditions de travail des ouvriers soumis à ce régime aux conditions d’exercice des sportifs de haut niveau. Il dit texto ceci :
« C’est régulièrement des accidents, des fractures, des problèmes de tendinites, c’est des problèmes de dopage. On commence à en voir beaucoup dans les usines. Il y a des problèmes de dopage non pas que les gens se droguent parce qu’ils trouvent ça agréable, souvent ce sont des gens qui n’ont pas beaucoup d’argent, mais ils se droguent pour oublier la douleur, pour oublier la souffrance, pour oublier le stress dans lequel ils sont. Je ne veux pas faire du misérabilisme social, mais il y a un véritable problème là, qui est de même nature que pour les sportifs de haut niveau. On sent dans un certain nombre d’endroit, dans un certain nombre de cas, qu’on a atteint, pour un travail d’opérateur sur machine payé au smic, des conditions qui sont celles des champions de très haut niveau qui peuvent être parfois payés des centaines de milliers d’euros, voire même des millions d’euros. Ce qui pose de vraies questions, et que bien évidemment si ces champions, en permanence à la limite de leurs possibilités, sont encadrés par des médecins, des coachs qui les suivent, et bien par contre dans les usines les techniciens et les ingénieurs ne sont pas des coachs, ne sont pas formés pour encadrer des champions du monde, des ouvriers toujours poussés à la limite de leur endurance. »
L’image d’ALAIN PROST m’est venue à l’esprit à ce passage du documentaire. Ce quadruple champion du monde de la course automobile, confiné et à l’étroit des dizaines d’heures (24 heures du Mans par exemple) sur le siège de sa formule 1. Seulement si Prost pouvait rester rivé à son siège durant des heures, et faire corps avec son automobile, on sait bien que pour se préparer aux compétitions il bénéficiait des meilleurs médecins sportifs, des meilleurs kinés, des meilleurs nutritionnistes, des meilleurs coachs qui l’entraînaient à maintenir ses muscles et son psychisme au meilleur de sa forme. Et puis il a gagné des millions à gogo et à tel point qu’il s’est exilé en Suisse pour échapper au fisc. Il ne lui est pas nécessaire d’attendre d’avoir 65 ans pour partir à la retraite, il a arrêté sa carrière de pilote en 1993 à l’âge de 38 ans !!!!!!!!!! Voyez à côté le petit opérateur fenwick scotché à sa machine 8h/j, 5j/7 toute l’année, qui n’a ni kiné ni nutritionniste ni médecin ni coach privés pour l’aider à se tenir en forme, et qui gagne péniblement 1300 € mensuel. Il est probable qu’il sera complètement cassé avant d’atteindre la cinquantaine, alors il sera mis en invalidité ou il deviendra chômeur longue durée.
Un délégué syndical Fenwick raconte ceci :
« Nous on leur reproche souvent (à la direction) de vouloir faire toujours plus, toujours plus, et on leur dit qu’à un moment on ne pourra pas faire plus, qu’on sera au maximum, qu’on aura fait toutes les méthodes de « lean »* que vous voudrez, on sera au taquet. Et qu’est ce qui se passera à ce moment là ? Là, la direction n’a pas de réponse. Il faut toujours plus, les mecs sont sur leur chaîne et ils font leur boulot et ils ne sont pas heureux, ils se disent qu’il faut faire toujours plus, mais c’est comme ça, c’est les actionnaires qui veulent toujours plus, voilà. »
« QUAND ON SERA AU TAQUET, QU’EST-CE QUI SE PASSERA À CE MOMENT LÀ ? »
Frédéric LORDON explique que cette contrainte de la finance actionnariale est devenue tellement impérative qu’elle exige l’ajustement instantanée. Donc tout de suite il faut réduire la voilure, tout de suite il faut faire des plans sociaux. Tout de suite il va falloir maintenir comme on peut le profit trimestriel pour la prochaine confrontation avec les investisseurs, etc. etc. Donc c’est un monde dans lequel à un moment donné il n’y a plus de marge de manœuvre, tout le monde est pris à la gorge de partout.
DEUX ANS APRÈS leur rachat par Henry Kravis (le multimilliardaire américain patron du fonds d’investissement KKR), en 2008, la direction de l’usine Fenwick annonce aux salariés une réduction des effectifs. L’usine doit se séparer d’une centaine d’entre eux. Le système toyota a permis de produire plus avec moins de ressources, avec moins de personnel, donc de dégager plus de profits. C’ÉTAIT EXACTEMENT L’OBJECTIF VISÉ. Le sort des ouvriers de Fenwick est effectivement entre les mains de Henry Kravis, le magicien de l’optimisation et du profit, l’homme qui fait jaser pour ses revenus exorbitants :
En 2006 il gagnait :
51 260 $ 24h/24, 365 jours/an,
soit 1,3 millions de $ par jour !
soit au total 450 millions de $ en 2006
ce qui équivaut à 23 492 années de salaire d’un ouvrier Fenwick
Sa fortune était évaluée à 2,6 milliards de $ en 2009 et à 3,7 milliards de $ en 2011
Un journaliste a demandé à JEAN-ROBERT VIALET le réalisateur du documentaire pourquoi il a intitulé son film « la mise à mort du travail ». Voici ce qu’il a répondu :
« Le travail est par nature ambivalent. Il peut être pénible, harassant, tuant..., mais il est aussi ce qui donne une identité, ce qui permet, comme le dit très bien le psychiatre Christophe Dejours, de se mettre à l'épreuve de soi et des autres, de se réaliser, de s'émanciper. Le travail est ce qui crée du collectif, du lien social. Parler de "mise à mort du travail", ce n'est pas dire que les conditions de travail d'un employé de Fenwick sont pires aujourd'hui que celle d'un ouvrier à la chaîne il y a cinquante ans, ni prophétiser la "fin du travail", c'est dire qu'on est en train de vider le travail de sa substance, de ce qui lui permet de donner du sens à nos vies.
Le psychiatre Christophe DESJOURS conclut ce film par la phrase prémonitoire suivante :
« Je pense que nous sommes dans une évolution qui malheureusement ressemble beaucoup à quelque chose qui a affaire avec la décadence de notre civilisation. »
(*) Ceux qui voudront en savoir plus sur le « Lean manufacturig » qu’on appelle aussi « système Toyota » peuvent visiter le site wikipédia suivant :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Lean
et
http://fr.wikipedia.org/wiki/Lean_management
LA DEUXIÈME PARTIE DU DOCUMENTAIRE se déroule à Elancourt, le siège de Fenwick-France et à l’usine de production des chariots à Cenon sur Vienne
Deux directeurs sont interrogés.
Le premier dit entre autres choses ceci : « L’objectif c’est la performance globale. Au centre de notre stratégie on a mis la motivation de nos salariés. Notre crédo est que la plus belle des stratégies ne sera pas appliquée si elle n’est pas comprise et partagée par l’ensemble du personnel… »
Le deuxième directeur, sans aucun doute plus sincère dit : « On n’a pas de limite. Un bon management c’est de ne jamais être satisfait. Structurellement un manager c’est quelqu’un de jamais content. Y a une exigence qui nous oblige à avoir des raisonnements et des stratégies sans complaisance. Très clairement vis-à-vis des actionnaires il faut pouvoir montrer au mois le mois des performances de production qui se traduisent très clairement par des performances financières… »
Ce que dit ce 2ème directeur donne le ton de se qui se passe à l’usine Fenwick.
À l’usine de Cenon sur Vienne l’optimisation est au cœur de l’entreprise. Comme pour les bons commerciaux qu’on a conduit à «l’excellence », la direction de Fenwick à fait appel à un cabinet de consultants spécialistes de l’optimisation. Tout le management a été formé à développer, animer et amener les ouvriers à la nouvelle organisation. Les consultants ont relevé par exemple que 85 % des temps de déplacement des opérateurs au sein de leur atelier (se déplacer pour chercher un outil, une pièce…) était du temps gaspillé. Ils ont pointé les temps où l’opérateur attend une pièce, il s’agit d’un temps qui est payé à l’ouvrier et donc un temps perdu qui ne rapporte rien financièrement vu que durant ce déplacement et attente il n’est pas en train de monter du chariot... La mission des consultants a été de réorganiser le travail au sein de l’usine pour réduire tous les « gaspillages » qui sont quantifiés et chiffrés en « pertes financières »…
Leur démarche d’optimisation consiste à appliquer les méthodes du « Lean manufacturig »* appelé aussi « système Toyota », un mode d’organisation du travail qui a fait de Toyota, petit constructeur marginal des années 60, le plus gros groupe industriel d’automobile au monde. L’aboutissement d’un siècle de pensées sur l’optimisation de la production industrielle. Le bal avait été ouvert à la fin du 19è avec Taylor, qui avait séparé d’un côté les ingénieurs qui pensent et de l’autre les ouvriers qui exécutent. Puis il y a eu Henri Ford qui inventa le travail à la chaîne, c’était les débuts de la production de masse. Cela a duré jusque dans les années 70. Les limites de cette production de masse se sont manifestées et une nouvelle méthode est arrivée, « le toyotisme », qui a voulu redonner sa place à l’ouvrier. L’idée était que tous les salariés devaient participer à la performance de l’entreprise. Pas uniquement avec leur force de travail, mais aussi avec leur intelligence. Les améliorations doivent être proposées par les ouvriers eux-mêmes. On les fait donc travailler à la résolution des problèmes au sein de cercles de qualités.
A l’usine Fenwick, l’adhésion des ouvriers aux objectifs de l’entreprise est le nouveau crédo. Chaque salarié doit proposer quotidiennement des idées, des astuces, des solutions, afin d’améliorer la productivité et la sécurité sur son poste de travail. Il doit noter ses propositions sur un grand tableau affiché dans son atelier. Ensuite chacune des propositions de chacun des ouvriers de l’atelier est discutée, testée et validée par l’ensemble si elle s’avère être celle qui fait gagner le plus de temps. Pour inciter les ouvriers à collaborer, la direction évoque sans relâche l’opportunité qui s’offre à eux de travailler dans de meilleures conditions. Cette démarche vise surtout à faire en sorte que les salariés soient les acteurs de l’amélioration de leur productivité.
Et à l’écran je vois effectivement des grands panneaux qui flottent au dessus des machines, et dessus il est écrit : « VERS 100 % D’IMPLICATION ». Et le film montre des gens avec un mètre ou un chronomètre à la main, qui prennent des mesures, qui discutent, qui écrivent sur des tableaux accrochés au mur…
Les ouvriers Fenwick participent à la chasse au gaspi. Ils décortiquent leurs temps non productif, leur temps morts, leurs mouvements inutiles, leurs déplacements dans l’usine. Tout est quantifié. Ainsi ils ont appris qu’ils faisaient jusqu’à 46 km de déplacement en une semaine, avant l’optimisation. Encadré par les consultants et les techniciens toutes les séquences de travail sont réorganisées afin de produire le plus de chariots possible dans les délais les plus courts.
Laurent HEBENSTREIT, éditeur et ancien cadre dirigeant dans l’industrie dit ceci à propos du toyotisme : « La règle d’or du système c’est que toute amélioration doit aller impérativement dans le sens de l’amélioration de la qualité et de la productivité. C’est le seul critère d’acceptation de la proposition de l’ouvrier… Par exemple, si c’est moins douloureux pour l’ouvrier d’avoir une pièce sur une table à côté de lui, au lieu d’avoir à se baisser pour la ramasser, il aura moins mal au dos, c’est donc une amélioration des conditions de travail. Mais dans la réalité le but final c’est la productivité, et donc si c’est l’inverse qui est mieux, s’il vaut mieux qu’il se baisse pour qu’il soit plus productif, on l’obligera à se baisser ».
Les opérateurs Fenwick sont ainsi formés, au sein des cercles qualités, à comprendre les critères selon lesquels ils doivent faire de « bonnes propositions », ce qui dans la réalité ne va pas dans le sens d’un plus grand confort au travail, tout au contraire, le bilan de la méthodologie est loin du résultat escompté par les travailleurs qui était « l’amélioration des conditions de travail ».
Un syndicaliste fenwick dit : « La nouvelle réorganisation a fait la chasse à tous nos petits temps de récupération, désormais on ne marche plus mais on piétine, on n’a plus aucun temps pour souffler, pour échanger trois mots avec un collègue, on est devenu un rouage de la chaîne… »
Depuis l’introduction du toyotisme dans l’usine Fenwick, et selon les partenaires sociaux (CHSCT, DP, délégués syndicaux…) les accidents de travail ont augmentés de 25 % dans l’usine.
Frédéric LORDON, économiste de renom et Directeur de recherche au CNRS, ajoute, à propos de cette supposée amélioration des conditions de travail apportée par le toyotisme, que « c’est effectivement la théorie du foutage de gueule qui est la bonne ».
Le sociologue Vincent DE GAULEJAC (Université de Paris VII) dit ceci : « C’est une satisfaction narcissique formidable de proposer aux salariés d’être dans un idéal de perfection, d’aller au-delà de leurs limites, etc. Donc la tentation d’y croire est forte ». Et effectivement partout ou le toyotisme s’implante, partout les salariés jouent le jeu.
Frédéric LORDON qui a étudié les effets du toyotisme fait un commentaire édifiant. Il compare par exemple les conditions de travail des ouvriers soumis à ce régime aux conditions d’exercice des sportifs de haut niveau. Il dit texto ceci :
« C’est régulièrement des accidents, des fractures, des problèmes de tendinites, c’est des problèmes de dopage. On commence à en voir beaucoup dans les usines. Il y a des problèmes de dopage non pas que les gens se droguent parce qu’ils trouvent ça agréable, souvent ce sont des gens qui n’ont pas beaucoup d’argent, mais ils se droguent pour oublier la douleur, pour oublier la souffrance, pour oublier le stress dans lequel ils sont. Je ne veux pas faire du misérabilisme social, mais il y a un véritable problème là, qui est de même nature que pour les sportifs de haut niveau. On sent dans un certain nombre d’endroit, dans un certain nombre de cas, qu’on a atteint, pour un travail d’opérateur sur machine payé au smic, des conditions qui sont celles des champions de très haut niveau qui peuvent être parfois payés des centaines de milliers d’euros, voire même des millions d’euros. Ce qui pose de vraies questions, et que bien évidemment si ces champions, en permanence à la limite de leurs possibilités, sont encadrés par des médecins, des coachs qui les suivent, et bien par contre dans les usines les techniciens et les ingénieurs ne sont pas des coachs, ne sont pas formés pour encadrer des champions du monde, des ouvriers toujours poussés à la limite de leur endurance. »
L’image d’ALAIN PROST m’est venue à l’esprit à ce passage du documentaire. Ce quadruple champion du monde de la course automobile, confiné et à l’étroit des dizaines d’heures (24 heures du Mans par exemple) sur le siège de sa formule 1. Seulement si Prost pouvait rester rivé à son siège durant des heures, et faire corps avec son automobile, on sait bien que pour se préparer aux compétitions il bénéficiait des meilleurs médecins sportifs, des meilleurs kinés, des meilleurs nutritionnistes, des meilleurs coachs qui l’entraînaient à maintenir ses muscles et son psychisme au meilleur de sa forme. Et puis il a gagné des millions à gogo et à tel point qu’il s’est exilé en Suisse pour échapper au fisc. Il ne lui est pas nécessaire d’attendre d’avoir 65 ans pour partir à la retraite, il a arrêté sa carrière de pilote en 1993 à l’âge de 38 ans !!!!!!!!!! Voyez à côté le petit opérateur fenwick scotché à sa machine 8h/j, 5j/7 toute l’année, qui n’a ni kiné ni nutritionniste ni médecin ni coach privés pour l’aider à se tenir en forme, et qui gagne péniblement 1300 € mensuel. Il est probable qu’il sera complètement cassé avant d’atteindre la cinquantaine, alors il sera mis en invalidité ou il deviendra chômeur longue durée.
Un délégué syndical Fenwick raconte ceci :
« Nous on leur reproche souvent (à la direction) de vouloir faire toujours plus, toujours plus, et on leur dit qu’à un moment on ne pourra pas faire plus, qu’on sera au maximum, qu’on aura fait toutes les méthodes de « lean »* que vous voudrez, on sera au taquet. Et qu’est ce qui se passera à ce moment là ? Là, la direction n’a pas de réponse. Il faut toujours plus, les mecs sont sur leur chaîne et ils font leur boulot et ils ne sont pas heureux, ils se disent qu’il faut faire toujours plus, mais c’est comme ça, c’est les actionnaires qui veulent toujours plus, voilà. »
« QUAND ON SERA AU TAQUET, QU’EST-CE QUI SE PASSERA À CE MOMENT LÀ ? »
Frédéric LORDON explique que cette contrainte de la finance actionnariale est devenue tellement impérative qu’elle exige l’ajustement instantanée. Donc tout de suite il faut réduire la voilure, tout de suite il faut faire des plans sociaux. Tout de suite il va falloir maintenir comme on peut le profit trimestriel pour la prochaine confrontation avec les investisseurs, etc. etc. Donc c’est un monde dans lequel à un moment donné il n’y a plus de marge de manœuvre, tout le monde est pris à la gorge de partout.
DEUX ANS APRÈS leur rachat par Henry Kravis (le multimilliardaire américain patron du fonds d’investissement KKR), en 2008, la direction de l’usine Fenwick annonce aux salariés une réduction des effectifs. L’usine doit se séparer d’une centaine d’entre eux. Le système toyota a permis de produire plus avec moins de ressources, avec moins de personnel, donc de dégager plus de profits. C’ÉTAIT EXACTEMENT L’OBJECTIF VISÉ. Le sort des ouvriers de Fenwick est effectivement entre les mains de Henry Kravis, le magicien de l’optimisation et du profit, l’homme qui fait jaser pour ses revenus exorbitants :
En 2006 il gagnait :
51 260 $ 24h/24, 365 jours/an,
soit 1,3 millions de $ par jour !
soit au total 450 millions de $ en 2006
ce qui équivaut à 23 492 années de salaire d’un ouvrier Fenwick
Sa fortune était évaluée à 2,6 milliards de $ en 2009 et à 3,7 milliards de $ en 2011
Un journaliste a demandé à JEAN-ROBERT VIALET le réalisateur du documentaire pourquoi il a intitulé son film « la mise à mort du travail ». Voici ce qu’il a répondu :
« Le travail est par nature ambivalent. Il peut être pénible, harassant, tuant..., mais il est aussi ce qui donne une identité, ce qui permet, comme le dit très bien le psychiatre Christophe Dejours, de se mettre à l'épreuve de soi et des autres, de se réaliser, de s'émanciper. Le travail est ce qui crée du collectif, du lien social. Parler de "mise à mort du travail", ce n'est pas dire que les conditions de travail d'un employé de Fenwick sont pires aujourd'hui que celle d'un ouvrier à la chaîne il y a cinquante ans, ni prophétiser la "fin du travail", c'est dire qu'on est en train de vider le travail de sa substance, de ce qui lui permet de donner du sens à nos vies.
Le psychiatre Christophe DESJOURS conclut ce film par la phrase prémonitoire suivante :
« Je pense que nous sommes dans une évolution qui malheureusement ressemble beaucoup à quelque chose qui a affaire avec la décadence de notre civilisation. »
(*) Ceux qui voudront en savoir plus sur le « Lean manufacturig » qu’on appelle aussi « système Toyota » peuvent visiter le site wikipédia suivant :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Lean
et
http://fr.wikipedia.org/wiki/Lean_management